Faut-il créer un ministère de la solitude ?

Février 2018, la Grande-Bretagne nomme une ministre de la solitude pour lutter contre l’isolement social. Le phénomène touche environ neuf millions de personnes. Près de 200.000 Britanniques passent plus d’un mois de période de solitude sans communiquer avec leur famille ou leurs proches. Selon Mark Robinson, directeur général de Age UK, il est prouvé que la solitude est “plus mauvaise pour la santé que quinze cigarettes par jour”.
Février 2021, le Japon nomme un ministre de la solitude pour lutter contre les suicides. Les Japonaises, de moins en moins mariées, de plus en plus chômeuses, de plus en plus en situation de précarité, se donnent la mort, presque mille jeunes femmes se sont suicidé en octobre 2020, 70 % de plus qu’en octobre 2019.
En France, pas de ministère de la solitude mais une journée des solitudes chaque année le 23 janvier depuis 2018, organisée par l’association Astrée qui accompagne les personnes souffrant de solitude en les mettant en relation avec des bénévoles formés à l’écoute et l’accompagnement. Leur baromètre fait apparaitre qu’un Français sur deux se sent « toujours », « souvent » ou « parfois » seul. Ceci concerne tout le monde, tous les âges, avec une surreprésentation chez les personnes vivant seules, ayant été confinées seules, âgées, jeunes, ayant les revenus les plus bas, femmes. Santé publique France constate une dégradation de la santé mentale, une augmentation du sentiment d’être malheureux, de la dépression, des idées suicidaires.

Etre seul.e ou se sentir seul.e ?

Quand nous recherchons la compagnie des autres, s’ils font défaut ou si nous sommes incapables d’établir un contact avec eux, nous sommes envahi.es par l’ennui et souffrons de solitude. Pour cela il n’est pas nécessaire d’être physiquement seul.e, de vivre seul.e, il est possible de s’ennuyer beaucoup et de se sentir très isolé.e, différent.e, incompris.e, psychologiquement seul.e en famille, en couple, au milieu d’un groupe voire de la foule; il est souvent très difficile de supporter d’être seul.e au milieu de la foule.
L’isolement peut aussi apparaître comme un phénomène négatif : ceux avec lesquels nous partagions certaines activités peuvent s’éloigner physiquement, se détourner . Cela arrive fréquemment lorsque nous nous retirons de la vie professionnelle, associative ou politique. Lorsque nous nous retrouvons seul.es et que nous découvrons la solitude après avoir mené une vie active en compagnie de nos pairs, lorsque nous étions sous les feux de la rampe et que nous devenons invisibles, nous pouvons en souffrir au point de vieillir d’un coup, de nous faner, de perdre le goût à la vie, d’en mourir. A moins de ne découvrir les délices de périodes choisies de solitude dont je parle dans cet autre article.

Pourquoi tant de souffrance ?

La souffrance psychologique de la solitude, c’est la douleur causée par le manque, le vide entre entre les relations sociales que nous aimerions avoir et celles que nous avons réellement.
Le neuroscientifique Matthew Lieberman de l’Université de Californie-Los Angeles dans son ouvrage non traduit en français « Pourquoi nos cerveaux sont câblés pour se connecter » passe en revue plus de 1000 études qui aboutissent à la conclusion que « l’Homme est devenu, au fil du temps, de plus en plus socialement connecté au point d’être devenu dépendant du lien social. L’évolution a induit que la meilleure façon de nous rendre plus efficace consiste à nous rendre plus social  ». Les expériences de rejet social ou de perte sociale entraînent de la douleur «  dans le cerveau  ». La transmission des idées à l’autre est une des conditions des changements sociétaux ».
Les liens sociaux nous sont aussi essentiels que la nourriture et le sommeil.

Connaissez-vous le piège de l’hyperconnexion ?

Faute de lien social suffisant, d’aucuns se tournent vers la consommation excessive d’alcool, de drogue, de médicaments et l’utilisation excessive des écrans et d’Internet. Ces deux activités soulagent temporairement l’ennui et permettent de rompre momentanément la solitude mais créent une dépendance.
Les réseaux sociaux nous permettent d’entretenir en très peu de temps des relations avec des personnes que nous connaissons, ils nous permettent de rencontrer de nouvelles personnes et d’élargir notre réseau.
En revanche, l’hyperconnexion aux mobiles et aux réseaux sociaux nourrit le sentiment de solitude et c’est plutôt de la mauvaise nourriture :
-Elle peut nous donner l’impression de faire partie d’une grande famille, Internet est un refuge offrant des connexions instantanées avec des personnes du monde entier, mais de façon fugace et superficielle, sans nous sentir en lien,
-Elle peut générer sentiments d’échec et de culpabilité si nous avons moins d' »amis » ou de j’aime que les autres voire des je n’aime pas,
-Elle peut nous déconnecter de la réalité en ne montrant que les personnages joués par les uns et les autres, loin de leur authenticité,
-Elle réduit le temps dédié à des relations réelles, à des échanges riches, à de la proximité sociale, du soutien, de l’amitié et de la culture; cette compagnie virtuelle peut déstabiliser ses dernières relations dans la vie réelle, dont nous ne prenons pas soin,
-Elle peut appauvrir nos compétences de communication interpersonnelle et de création de lien ! 
La solitude commence lorsque la communication virtuelle surpasse la communication avec son entourage.
Nous connectons-nous à bon escient et avec modération et nous déconnectons-nous pour ne pas sombrer dans la solitude ? Quel % de notre temps vivons-vous sans écran à portée de vue ou de main ?
Nous ne pouvons pas passer nos journées assis devant un écran à nous priver de toute interaction humaine. Ce n’est pas ce pour quoi nous sommes faits. Tous nos meilleurs souvenirs vivent dans les moments avec les autres. Où est votre meilleur souvenir avec Internet ? Quand nous ferons le bilan de notre vie, serons-nous heureux de la quantité de Netflix que nous aurons regardée ? Serons-nous heureux du cimetière de projets que nous avons laissé tomber ? Serons-nous heureux lorsque nous ne serons entouré.es de personne parce que nous nous sommes tous repoussés ?

Comment la génération la plus connectée de tous les temps se retrouve-t-elle à être aussi la moins connectée ?

Nous nous laissons déconnecter des autres et de nous-mêmes. Nous apprenons à apaiser plus qu’à guérir. Nous apprenons à mettre un pansement sur les problèmes au lieu de travailler sur nos problèmes et de les résoudre. ? À quand remonte la dernière fois où nous nous sommes assis devant un écran d’ordinateur pendant plus de 2 ou 3 heures et où nous en sommes repartis en nous sentant joyeux.ses et débordant d’énergie ? À quand remonte la dernière fois où un ordinateur, un écran de télévision, un iPad, un téléphone… nous a fait nous sentir vivant.e ? À quand remonte la dernière fois où nous avons senti que nous étions aimé.e, que nous prenions soin de nous et que nous étions guéri.es ?
Nous sommes allés trop loin, Internet et ces appareils ne sont pas totalement malsains, mais c’est l’obsession, la consommation constante, la façon dont cela engendre un manque de connexion avec les gens réels.
42% des Français se disent accro à leur téléphone portable.
Se déconnecter est vital pour éviter à notre cerveau d’être en surchauffe, et pour créer des conditions favorables aux pratiques suivantes. Par exemple mon téléphone portable ne rentre pas dans la chambre à coucher.

Comment maintenir une vie sociale satisfaisante même pendant la crise sanitaire ?

Le psychiatre Christophe André dont nous dit que la solitude est un symptôme d’une difficulté d’adaptation à l’environnement. Si quatre personnes sur dix estiment, comme avant la crise sanitaire, qu’il est difficile de remédier à la solitude, le moyen principal d’y parvenir est sans surprise le soutien par les autres.

Vaut-il mieux être seul.e que mal accompagné.e ?

Nous disons souvent qu’il vaut mieux être seul-e que mal accompagné.e.
Au fil du temps, nos perceptions peuvent évoluer, et nous n’apprécions plus la compagnie de personnes dont nous apprécions la compagnie auparavant, elles ont évolué dans une direction, nous vers une autre. Ceci est valable dans la sphère personnelle, lorsque nous vivons avec quelqu’un sans amour ou sans épanouissement personnel, nous souffrons de solitude affective, de mal-être parfois davantage qu’en vivant seul-e.
C’est aussi valable dans la sphère professionnelle : « tu as le patron que tu mérites, tu as les collaborateurs que tu mérites» m’avait dit un conférencier au début de ma carrière professionnelle.
De nombreux chemins sont possibles, continuer dans la même voie, changer de voie, prendre une tangente,…Toutes les options ont des avantages, mais aussi un prix à payer. Souvent, ne rien faire est une option qui coûte cher en stress et sentiment de solitude.
Comment nous sentons-nous au contact de ceux qui nous accompagnent dans les différents aspects de notre vie ?

Comment prévenir l’isolement ?

Jusqu’à la quarantaine, j’étais directrice commerciale et marketing de grandes entreprises, expatriée avec mes hommes. Je travaillais dur et n’avais plus que des contacts très épisodiques avec ma famille et mes amis.
Je n’avais pas conscience que je m’isolais, je ne savais pas qu’une relation se nourrit ou se meurt, j’aurais pu me retrouver fragilisée.
22% des Français ont des liens réguliers dans un seul des cinq réseaux de sociabilité – familial, professionnel, amical, affinitaire ou de voisinage.
Nous ne sommes pas seuls, nous nous déconnectons et nous appauvrissons notre réseau.
Il y a des moments où nous aurions intérêt à reconnaître que nous sommes en danger pour prendre les choses en main et éviter la solitude – suite à un veuvage, à un deuil, à une perte d’emploi, au départ des enfants ou des parents, à un déménagement d’amis etc…

Comment se re-connecter avec les relations les plus proches ?


Au fil des années, nous connaissons beaucoup de monde, nous avons développé un relationnel : quelques relations profondes avec des personnes que nous aimons rencontrer pour partager des activités et un groupe plus restreint de relations proches, voire d’amis en qui nous avons suffisamment confiance pour leur confier des informations personnelles. Nous pouvons visualiser nos contacts comme une série de cercles concentriques. Ne prenons pas les gens que nous connaissons à peine pour des amis de longue date à qui nous pouvons tout confier.
J’ai appris depuis le virage de la quarantaine à nourrir, à cultiver mes relations les plus fortes pour qu’elles continuent à vibrer. Ça me semble aussi important que d’avoir une activité physique, mes heures de bon sommeil et une alimentation saine.
Certains modes d’interaction nous emplissent davantage : la rencontre physique, le téléphone éventuellement avec la caméra pour ressentir la richesse de la communication non verbale , les lettres, les cartes postales…
Depuis le départ de mon papa vers sa dernière demeure, ma maman me parle du vide qu’elle ressent et veut combler : -quand elle me dit « si papa était là, je lui raconterais ceci ou cela », je l’encourage à continuer à entretenir le lien avec lui contre la solitude.
-quand elle me dit qu’elle a de plus en plus de mal à écrire, je lui trouve un prétexte pour m’écrire et éviter la perte d’autonomie, quel plaisir de recevoir une lettre de sa maman !
-quand elle trouve le temps long, je l’encourage à aller visiter une personne âgée en situation d’isolement, à sortir acheter des cartes postales et à les envoyer à tous ses enfants, petits-enfants, arrière petit-enfants, sœurs.
Quelle est la dernière fois que vous avez envoyé ou reçu une carte postale ?! Un libraire dans un village voisin dispose d’une collection magnifique de cartes provençales vintage, je lui en achète régulièrement sans même savoir à qui je vais les envoyer, la dernière relation d’affaires pour qui j’ai glissé un petit mot sur une de ces cartes à l’intérieur de l’enveloppe contenant par ailleurs un contrat m’a appelée touchée par le geste.
Les librairies, oui bien sûr qu’elles sont essentielles, non seulement pour les trésors de livres qu’elles contiennent mais aussi en tant qu’espaces créateurs de lien social.
Quand je lis un livre, je me demande à qui je vais le passer, pour le plaisir de le critiquer ensemble ensuite, une autre façon de partager un moment intime, d’approfondir une relation.
Parfois, les tentatives de reconnexion échouent, j’ai ainsi une amie qui ne me répond plus alors qu’elle continue à lire mes lettres d’information, je souffre du manque de cette relation, je continue à essayer de la contacter.
Tendons la main à des amis pour redécouvrir et favoriser la connexion chaleureuse de proximité. Peut-être nous rendrons-nous compte que nous sous-estimons le soutien social dont nous bénéficions ! Nous ne sommes pas aussi seul.es que nous le pensons.

Comment équilibrer son réseau ?

22% des Français ont des liens réguliers dans un seul des cinq réseaux de sociabilité – familial, professionnel, amical, affinitaire ou de voisinage.
Quand je commence à accompagner une personne, que ce soit dans le cadre de son développement personnel ou professionnel, elle me dit souvent qu’elle n’a pas de réseau, je lui demande de le poser par écrit en faisant une recherche dans sa tête puis à l’aide de son téléphone, elle est surprise par la taille de son réseau, elle sourit en se remémorant certains moments.
Admettons que nous connaissons du monde ! Qui compose nos 5 réseaux de sociabilité ? Nos besoins évoluent, de quel aspect de notre réseau avons-nous le plus besoin aujourd’hui ?

Se réfugier dans la solitude ou l’affronter ?

Nous réfugions-nous car nous avons peur ? Bien sûr, mais c’est là tout l’intérêt, le piment de la vie ! Affronter nos peurs permet de vivre une expérience plus riche. Nous ne sommes pas censés contourner le processus de guérison de nous-mêmes. Nous devons faire face à qui nous sommes afin d’être qui nous sommes. Nous ne pouvons pas trouver de véritable connexion et de véritable amour et la pureté de ces deux expériences si nous passons nos journées à ne pas nous soucier des autres ou de nous-mêmes.
Faire le premier pas c’est prendre le risque d’essuyer un refus. Oser faire le premier pas c’est mourir un peu et peut-être vivre pleinement ! C’est forcer un peu sa nature.
Je vous laisse quelques instants avec les paroles de Claude-Michel Schonberg, avez-vous la mélodie en tête ?
« J’aimerais qu’elle fasse le premier pas
Je sais, cela ne se fait pas
Pourtant j’aimerais que ce soit elle qui vienne à moi
Car voyez-vous je n’ose pas
Rechercher la manière
De la voir, de lui plaire
L’approcher lui parler
Et ne pas la brusquer
Lui dire des mots d’amour
Sans savoir en retour
Si elle aimera
Ou refusera ce premier pas
Le premier pas
J’aimerais qu’elle fasse le premier pas
On peut s’attendre longtemps comme ça
On peut rester des années à se contempler
Et vivre chacun de son coté
Je la rencontrerai
Au bas de l’escalier
Puis comme tous les jours
Elle me dira bonjour
Seulement cette fois
Elle me prendra le bras
Me conduira dans sa maison
Ou nous ferons
Le premier pas d’amour
Dans son lit jour après jour
Elle me dévoilera son corps
Me donnera tous les remords
De n’avoir pas dit plus tôt
Le premier mot
Le premier mot
J’aimerais qu’elle dise le premier mot
La nuit j’en rêve et c’est idiot
Si elle voulait
Seulement me faire signe tout bas
Alors je ferais, je le crois
Le premier pas. »

Rejoindre un groupe d’entraide ?

1,3 millions d’associations sont actives en France, nous nous réunissons pour, ensemble, mettre en place des projets, solidaires ou en faveur de l’intérêt général. Le bénévolat avec Caritas, les Petits Frères des Pauvres, le Secours Catholique, la Fondation de France pour combattre la solitude, lutter contre la solitude, éviter l’isolement, sortir de l’isolement, rompre avec l’isolement, briser l’solement, rompre avec son isolement, rencontrer des personnes âgées, des seniors isolés, des retraités, d’autres personnes isolées.
Nous pouvons aussi participer à des groupes d’entraide et de soutien autour des thématiques qui nous préoccupent ou nous attirent et y trouver un espace d’écoute bienveillante.
Un des nombreux bénéfices est de nous rendre compte qu’il y a plus malheureux ou en difficulté que soi et de nous retrouver à aider les autres.

Comment attirer les gens à nous ?

Quelle est la dernière fois que nous nous sommes senti vraiment écouté.es? Que quelqu’un s’est arrêté de s’occuper d’autre chose, de se laisser distraire, de chercher à nous couper, de ramener à lui, de juger, de conseiller, d’interpréter, de déclamer sa théorie. Que nous avons senti une présence attentive, chaleureuse, dans l’acceptation totale. L’écoute active est très rare.
C’est une compétence que nous pouvons apprendre, développer, offrir. Par réciprocité, nous serons vraiment écouté.s. A faire avec toute notre sincérité, notre générosité, sans rien attendre en retour, juste s’intéresser aux personnes.
Et leur faire des compliments !
C’est une des meilleures façons de construire la confiance avec le temps, les personnes comprennent que nous sommes une compagnie agréable, une ressource.

Avec quels mots vaincre la solitude qui pèse ?

Présidente de la République, je ne créerai pas de ministère de la solitude et je ne parlerai ni de distanciation sociale, ni de gestes barrière, sauf si je voulais que nous souffrions davantage de solitude, que nous nous éloignions encore plus les uns des autres et que nous nous méfions de nos propres voisins, amis, famille, collègues.
Je créerai un ministère de la compagnie, je parlerai de lien social et de gestes de santé.
En français, le mot solitude a une connotation négative alors qu’il recouvre aussi la bonne solitude. En anglais, deux mots distincts existent pour nommer la solitude qui fait souffrir (loneliness) et celle qui nous rend heureux (solitude) et dont je parlerai dans un prochain article.
Quand la solitude nous pèse, comment pourrions-nous la nommer et en parler pour l’alléger ? Ecrire dans son journal en se laissant inspirer par des citations peut grandement aider à soigner ses maux par ses mots. Laissez-vous inspirer par cette sélection de citations sur les thèmes de la solitude et de la compagnie.